Dérogation espèces protégées : les prescriptions (même issues d’une décision antérieure) doivent être analysées au vu de la situation actuelle des espèces

Conseil d'État, 6ème chambre, 18/10/2024, 472156, Inédit au recueil Lebon

Par un arrêt du 18 octobre 2024, le Conseil d’État est venu préciser que l’autorité administrative compétente pour imposer des prescriptions complémentaires à un exploitant doit apprécier ces dernières en fonction des circonstances prévalant à la date de sa décision, et notamment celles relatives aux espèces protégées, quand bien même celles-ci ne feraient que reprendre des prescriptions déjà imposées à l’exploitant.

Autrement dit, si la situation des espèces protégées situées sur le site a évolué et s’est dégradée depuis l’autorisation initiale, le préfet doit en tenir compte et peut dès lors :

  • exiger la fourniture d’une étude d’impact ou d’une étude d’impact actualisée,
  • requérir le dépôt d’un dossier de demande de dérogation espèces protégées si le risque pour ces espèces est « suffisamment caractérisé » au regard de la situation des espèces au jour de son nouvel arrêté (Conseil d’État, Section, 09/12/2022, 463563, Publié au recueil Lebon), 
  • édicter des prescriptions complémentaires permettant d’éviter, réduire et compenser les atteintes portées par le projet à l’environnement et à la biodiversité.

En l’espèce, une société spécialisée dans la production d’électricité s’était vue délivrée par arrêté préfectoral un permis de construire pour la création d’un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs.

L’exploitant ayant pris la décision de modifier l’emplacement d’un de ses aérogénérateurs, un nouvel arrêté portant prescriptions complémentaires a été délivré par le préfet.

Cet arrêté reprenait principalement la teneur des prescriptions qui avaient déjà été imposées à l’exploitant lors de son autorisation de construire initiale, et notamment la réalisation d’un diagnostic archéologique, la mise en place d’un suivi de l’avifaune, le balisage diurne et nocturne des machines, la prise en compte de la législation relative à la défense des forêts contre les incendies et la réalisation de mesures des émergences sonores.

Dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre cet arrêté complémentaire, les associations requérantes se prévalaient du fait que ledit arrêté était illégal en ce qu’il : omet de prévoir une étude d’impact complémentaire relative à la protection des espèces animales, ne comporte pas de prescriptions suffisantes en matière de préservation de l’avifaune et des chiroptères et s’abstient de prescrire une procédure de demande de dérogation « espèces protégées ».

Le Conseil d’État censure le raisonnement de la Cour administrative d’appel pour erreur de droit en ce qu’elle avait considéré les moyens susmentionnés comme étant inopérants au motif que les prescriptions relatives à la protection de l’avifaune qu’il comporte se bornent à réitérer celles déjà imposées par l’arrêté préfectoral initialement délivré.

Cette décision s’inscrit manifestement dans le prolongement de l’arrêt du 8 juillet dernier (Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 08/07/2024, 471174, mentionné aux tables), qui avait précisé que la délivrance d’une autorisation environnementale ne confère pas de droits acquis à être dispensé d’une dérogation espèces protégées dans le cas où le risque pour les espèces deviendrait suffisamment caractérisé en cours d’exploitation. 

Les maîtres d’ouvrages doivent donc rester particulièrement vigilants aux évolutions de la biodiversité, que ce soit en cours d’exploitation ou à l’occasion de la modification de leurs projets. 


Article rédigé par Claire Mathieu, avocate collaboratrice

Dérogation espèces protégées : les prescriptions (même issues d’une décision antérieure) doivent être analysées au vu de la situation actuelle des espèces
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