Les dérogations Espèces protégées au regard des faiblesses des études impact

Par un arrêt n° 21TL01349 du 17 mai 2023, la Cour administrative d’appel de Toulouse a annulé la décision implicite d’un préfet qui avait rejeté la demande d’une association de mettre en demeure une société de déposer une dérogation « espèces protégées ». Deux principaux enseignements ressortent ainsi de cette décision :
  1. La reconnaissance par le juge de l’insuffisance d’une étude d’impact nécessite de soumettre à son appréciation des données techniques, récentes et circonstanciées.
  2. En cas d’insuffisance avérée d’une étude d’impact, le juge n’hésitera pas à apprécier lui-même l’existence de risques « suffisamment caractérisés » afin de déterminer si un projet était de nature à justifier le dépôt d’une demande de dérogation espèces protégées. La solution rendue est ainsi bienvenue, d’autant que la qualité de certaines études d’impact a pu récemment interroger en raison de faiblesses récurrentes (v. notamment : Le Monde, « Biodiversité : les faiblesses des études d’impact, étape-clé avant un projet d’aménagement », 5 mai 2023).

Dans cette affaire, le préfet de l’Aude avait délivré entre 2008 et 2014 trois permis de construire en vue de l’implantation d’autant de parcs éoliens sur le territoire de plusieurs communes.

En 2020, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) avait demandé au préfet d’enjoindre les sociétés titulaires des autorisations d’urbanisme de déposer une demande de dérogation « espèces protégées » sur le fondement de l’article L. 411-1 du Code de l’environnement.

Cette demande avait été implicitement rejetée par le préfet.

Dans un premier temps de son raisonnement, la Cour rejette la demande d’annulation concernant deux des trois parcs éoliens dans la mesure où que les permis de construire étaient depuis devenus définitifs.
Dans un second temps, la juridiction d’appel fait en revanche droit à la demande de l’association requérante s’agissant du troisième parc éolien, son permis de construire n’étant pas devenu définitif.
Pour fonder sa décision, la juridiction rappelle tout d’abord les dispositions de l’article L. 411-1 et L. 411-2 du Code de l’urbanisme, ainsi que l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 (n° 463563) imposant d’obtenir une dérogation espèces protégées lorsque le risque d’atteinte porté par le projet à ces espèces est « suffisamment caractérisé ».

Pour examiner ensuite l’étendue de ce risque d’atteinte, le juge d’appel s’appuie sur un faisceau d’indices suivant :

  • Selon l’étude d’impact, le projet se situait au sein d’une zone Natura 2000 « présentant des enjeux forts pour l’avifaune et notamment pour des espèces protégées ou menacées de rapaces tels que l’aigle royal, l’aigle botté, le vautour fauve, le vautour moine et le vautour percnoptère ». Celui-ci était également proche d’une autre zone Natura 2000 présentant un enjeu fort de préservation des chiroptères.
  • De plus, plusieurs analyses avaient mis en évidence les insuffisances substantielles de l’étude d’impact concernant les enjeux et impacts pour l’avifaune, les chiroptères et les rapaces.

À ce titre, des observations formulées par la LPO avaient conclu à un attrait très important du secteur d’implantation du projet pour plusieurs espèces de rapaces. De même, la requérante avait fourni à l’appui de sa requête une cartographie précisant que la zone d’accueil du projet était particulièrement fréquentée par plusieurs espèces de rapaces.

S’agissant des chiroptères, un rapport avait été établi en 2018 par un expert de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères qui mettait en évidence les insuffisances de cette étude d’impact. Ce rapport mentionnait par ailleurs la présence de trois autres espèces rares de chiroptères, particulièrement sensibles au risque éolien.

En outre, la charte du parc naturel régional Corbières-Fenouillèdes, approuvée en 2021, classait les territoires situés en bordure du secteur d’implantation en « zone de sensibilité « forte » ou « maximale » à l’activité éolienne en raison de la présence de rapaces et de chiroptères ».

  • Au surplus, la Cour administrative d’appel constatait que :

a) l’étude d’impact se contentait de préconiser un suivi des travaux par un écologue et un suivi des rapaces et des chiroptères, sans proposer pour autant de mesures permettant d’éviter ou de réduire le risque pour les espèces protégées présentes sur le site ;

b) l’arrêté préfectoral avait prescrit un certain nombre de mesures supplémentaires, insuffisamment précises cependant pour estimer que leur mise en œuvre permettrait de diminuer significativement les risques pour les espèces concernées.

Au regard de l’ensemble ces éléments, le juge conclut que « le parc éolien envisagé sur le territoire de la commune de Véraza présente pour les espèces protégées des risques suffisamment caractérisés », rendant dès lors nécessaire le dépôt d’une demande de dérogation espèces protégées.

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