Le préfet du Bas-Rhin avait délivré un arrêté portant autorisation environnementale unique pour la réalisation des travaux de déviation de Châtenois. Un recours en annulation avait été formé par une association de protection de l’environnement. Le projet en question, porté par la Collectivité européenne d’Alsace, prévoyait :
- la suppression de 7,16 hectares de zones humides par remblaiement et imperméabilisation des sols ;
- la possibilité de porter atteinte à 29 espèces protégées situées dans le périmètre du terrain d’assiette du projet.
Le Tribunal administratif écarte le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact. En revanche, il retient l’absence d’équivalence fonctionnelle et l’absence d’intérêt public majeur.
S’agissant, en premier lieu, du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du second alinéa du I de l’article L. 163-1 du code de l’environnement, le Tribunal administratif de Strasbourg constate que le pétitionnaire avait procédé à une application partielle de la « méthode nationale d’évaluation des zones humides », élaborée notamment par l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, le Museum national d’histoire naturelle et deux universités, et préconisée par les services du ministre en charge de l’environnement. Au cas présent, 14 des 32 indicateurs définis par la méthode nationale n’avaient pas été retenus pour apprécier l’équivalence entre les fonctions impactées du fait de la perte de zones humides et celles attendues des mesures de compensation.
Ce faisant, il n’était pas justifié que les pertes fonctionnelles associées à la destruction définitive de zones humides dans l’emprise du projet seraient compensées par les gains fonctionnels des mesures de compensation prescrites par l’arrêté attaqué portant autorisation environnementale.
En second lieu, le juge rappelle qu’au titre des dispositions de l’article L. 411-1 du Code de l’environnement, un projet de travaux, d’aménagement ou de construction susceptibles d’affecter la conservation d’espèces peut être autorisé, à titre dérogatoire, s’il répond à une raison impérative d’intérêt public majeur. Pour justifier l’existence de cette condition, le préfet avait estimé que les travaux répondaient « à des raisons impératives d’intérêt public majeur de santé et de sécurité publique, du fait notamment que l’actuelle RN 59 traverse le nord de l’enveloppe urbaine de la commune de Châtenois et est, de fait, accidentogène et source de pollution de l’air nuisant à la santé des riverains ».
Le juge relève cependant que le caractère accidentogène était justifié sur la base de seules données quantitatives faisant état du nombre d’accidents survenus sur cet axe entre 1996 et 2018. Sur ladite période, 32 personnes avaient en effet été blessées et 6 étaient décédées, sans que ne soient précisées ni nature et ni localisation de ces accidents. Dans ces conditions, le tribunal juge qu’il n’était pas établi que la réalisation de ce projet de déviation serait suffisante pour limiter les risques liés à la densité du trafic et ainsi relever d’un intérêt public majeur. Concernant la pollution de l’air, le juge constate qu’il ressort des éléments du dossier que :
- la réalisation de la déviation permettrait une diminution du niveau d’exposition au dioxyde d’azote et aux particules fines pour uniquement 7 à 8% de la population résidant dans la zone d’étude ;
- le projet de déviation est à l’origine d’une pollution supplémentaire pour 10 substances par rapport au scénario en 2030 sans ouvrage.
Dans la mesure où il n’est pas justifié que le projet permettrait de diminuer l’exposition des riverains à la pollution de l’air, celui-ci ne peut donc être regardé comme présentant un intérêt public majeur pour la santé. Le Tribunal administratif de Strasbourg annule donc l’autorisation unique en raison de l’absence de mesures de compensation suffisantes et d’intérêt public majeur.
Dans le prolongement de l’avis rendu par le Conseil d’État le 9 décembre 2022 (n°463563), la jurisprudence récente fait la part belle à la notion de « risque suffisamment caractérisé » pour justifier le dépôt d’une demande de dérogation « espèces protégées ». La présente décision nous rappelle ainsi qu’à partir du moment où une telle dérogation doit être sollicitée, la condition tenant à l’existence d’un intérêt public majeur demeure appréciée strictement par le juge administratif et constitue un obstacle de taille à la réalisation de projets.
La Collectivité européenne d’Alsace ayant manifesté son intention de faire appel de ce jugement, il conviendra d’être attentif à la décision prochaine de la Cour administrative d’appel de Nancy.