Par deux jugements en date du 16 juin 2023 (n°2019924 et n°2019925) le Tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat français, sur le fondement de la responsabilité pour faute, en raison de la dégradation de la santé de deux enfants en bas âge du fait de la pollution de l’air.
Deux familles, ayant résidé plusieurs années en région parisienne, avaient saisi le TA de Paris d’une demande tendant à la condamnation de l’Etat en raison des maladies respiratoires contractées par leurs enfants et causées selon eux par les pics de pollution atmosphérique.
Certes, la CJUE a pu considérer que la méconnaissance des dispositions de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, ne pouvait être invoquée par des particuliers pour engager la responsabilité d’un Etat membre. Néanmoins, elle a précisé que cela « n’exclut pas que la responsabilité de l’État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit interne » et qu’il soit tenu compte de la méconnaissance des obligations issues de cette directive (voir CJUE, 22 décembre 2022, n° C-61/21).
Ces deux décisions du Tribunal Administratif de Paris apportent un véritable modus operandi sur l’établissement du lien de causalité dans le cadre d’un litige en responsabilité portant sur les conséquences d’une exposition à des pics de pollution atmosphérique.
En premier lieu, il appartient au juge administratif de rechercher, au regard du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, « s’il n’y a aucune probabilité qu’un tel lien existe ». Dans le cadre de l’analyse de cette première condition, le juge administratif s’attache ainsi à exclure automatiquement les cas dans lesquels il n’existe strictement aucune probabilité de lien entre le pic de pollution et les conséquences sur la santé des personnes concernées.
En second lieu, en présence d’une probabilité de lien, validant ainsi la première étape de son analyse, le juge administratif doit dans un second temps procéder à l’examen des circonstances de l’espèce et ne devra retenir l’existence d’un lien de causalité que si les symptômes ressentis par la personne intéressée « sont apparus dans un délai normal pour ce type d’affection, et, par ailleurs, s’il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d’une autre cause que l’exposition aux pics de pollution ».
Appliqué aux faits d’espèce, le juge administratif a pu retenir l’existence d’une probabilité de lien entre la pollution atmosphérique et l’apparition de symptômes dès lors que, notamment, d’après plusieurs études scientifiques, près de 30% des épisodes d’otites (instance n° 2019924) et entre 30% et 50% des épisodes de bronchiolites (instance n° 2019925) seraient causés par la pollution.
Pour procéder à l’examen des circonstances d’espèce, le Tribunal va fonder son analyse sur plusieurs éléments :
- la concomitance entre les épisodes de pollution à dépassement de seuil et l’apparition des épisodes d’otites et de bronchiolites sur les enfants ;
- les parents étaient non-fumeurs et leurs logements ne comportaient pas, selon eux, d’éléments favorisant l’apparition des symptômes ;
- le fait qu’après le déménagement des familles hors de la région parisienne, une amélioration nette de l’état de santé des enfants a été observée.
Au regard de ce faisceau d’indices, les premiers juges ont conclu qu’une partie des symptômes avaient ainsi été causée par le dépassement des seuils de pollution atmosphérique résultant de la faute de l’Etat.
C’est ainsi que les sommes de 2000 euros dans la première instance (n° 2019924) et 3 000 euros dans la seconde (n° 2019925) ont été allouées aux requérants.
Le raisonnement adopté par le Tribunal administratif de Paris n’est pas totalement nouveau. En effet, le Conseil d’Etat avait d’ores et déjà pu élaborer un considérant de principe quasi-identique en matière vaccination obligatoire et de ses conséquences (CE, 29 septembre 2021, n° 435323, publié ; CAA de Nantes, 3 juin 2022, n° 21NT00333 ; CAA de Bordeaux, 8 décembre 2022, n° 20BX02455). Il était alors question de reconnaître ou non l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination obligatoire contre l’hépatite B et l’apparition de différentes maladies.