Devoir de vigilance : les ONG montrent la lune, le juge regarde le doigt

Le 28 février 2023, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris avait déclaré irrecevables les six ONG qui mettait en cause le projet pétrolier Eacop/Tilenga de TotalEnergies au titre de son devoir de vigilance (TJ Paris, ord., 28 fév. 2023, n° RG 22/53942).

Cette décision se fondait pour partie sur le motif procédural tenant à la différence entre la mise en demeure et l’assignation.

Dans le cadre de cette seconde action à l’encontre du groupe sur son impact climatique, les demanderesses se voient de nouveau opposer des obstacles procéduraux discutables. En l’espèce, plusieurs demandeurs avaient assigné la société TotalEnergies devant le Tribunal judiciaire aux fins qu’elle soit :

  • Sur le fondement de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce, condamnée à publier un plan de vigilance :
    • intégrant l’ensemble des risques de son activité sur le réchauffement climatique ;
    • comportant des mesures adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
  • À titre subsidiaire, sur le fondement de l’article 1252 du Code civil, condamnée à publier et mettre en œuvre les actions adaptées de réduction de ses émissions en ligne avec l’Accord de Paris.

Statuant sur l’incident soulevé par TotalEnergies, le Tribunal judiciaire a jugé les demandeurs irrecevables en leur action le 6 juillet 2023.

Sur le fond, une des principales questions portait sur la mise en demeure et le fait que son contenu n’était pas identique à celui de l’assignation.

Le juge de la mise en état (JME) va rappeler que l’article L. 225-102-4 du Code de commerce impose, à peine d’irrecevabilité, que toute action en justice relative au devoir de vigilance, soit précédée d’une mise en demeure. Il ajoute que les demandes contenues dans la mise en demeure doivent être identiques à celles de l’assignation et que ces deux actes doivent être portés par les mêmes demandeurs.

Selon le JME, l’assignation comporte des demandes nouvelles par rapport à celles formulées dans la mise en demeure, ainsi que de nouveaux demandeurs, de sorte que l’action doit être déclarée irrecevable.

En outre, le JME devait se prononcer sur l’articulation entre l’article L. 225-102-4 du Code de commerce et l’article 1252 du Code civil dès lors que le premier impose une mise en demeure préalable, là où le second en est exempté. Pour le JME, la demande formulée au titre de l’article 1252 est identique à celle formulée sur le fondement de l’article L. 225-102-4, toutes deux ayant pour finalité la publication d’un plan de vigilance permettant de prévenir les dommages écologiques. Rappelant l’adage selon lequel le spécial déroge au général, le JME déclare irrecevable la demande de l’article 1252, celle-ci ayant été faite uniquement en vue de contourner l’obligation de mise en demeure de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce.

Sur le plan procédural, le juge de la mise en état (JME) va déclarer irrecevable plusieurs associations et collectivités. Notamment, il va considérer que le préjudice écologique dont se prévalent les collectivités concerne « non seulement leur territoire mais le monde entier » et qu’admettre leur recevabilité « signifierait que n’importe quelle collectivité locale dans le monde pourrait assigner une société devant le tribunal de céans au motif qu’elle contribue par son activité au réchauffement climatique ».

Après plusieurs années perdues sur la compétence juridictionnelle, le juge se retranche à nouveau derrière des questions procédurales au lieu de saisir l’opportunité de faire jurisprudence. Six ans après son adoption, l’effectivité du devoir de vigilance reste en suspens. (Tribunal judiciaire de Paris, 6 juillet 2023, n° 22/03403).

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